C’est une question qui revient souvent, surtout de la part des profanes : « Est-ce que ta loge est régulière ? » Et là, je souris, parce que derrière cette formule un peu mystérieuse se cache une querelle de famille vieille de trois siècles.
La « mère loge » et ses critères
Tout part de Londres. Au XVIIIe siècle, la Grande Loge Unie d’Angleterre, souvent présentée comme la « mère » des Grandes Loges modernes, a posé ses conditions pour dire ce qui est « vraiment » maçonnique. Elle a fixé des critères (qu’on appelle les landmarks) et parmi eux deux sont devenus incontournables : croire en un Être Suprême, et appartenir à une obédience masculine. Autant dire que cela exclut d’emblée une bonne partie de la franc-maçonnerie libérale ou adogmatique, qui accepte les athées, les agnostiques, les femmes et la mixité.
La France, une exception culturelle
Et c’est là que la France fait figure d’exception. Très tôt, nos loges se sont nourries de la philosophie des Lumières, de la République, de la laïcité. Résultat : la majorité des obédiences françaises, le Grand Orient, le Droit Humain, la Grande Loge Féminine, la Grande Loge Mixte de France… ne répondent absolument pas aux critères londoniens. La Grande Loge de France, y serait presque, mais il n’y a qu’une obédience régulière par pays. Ainsi, seule la Grande Loge Nationale Française coche toutes les cases. À la GLNF, la croyance en Dieu est obligatoire, les loges restent exclusivement masculines, et aucun lien n’est permis avec les obédiences dites « irrégulières ».
Aujourd’hui, la GLNF rassemble plusieurs dizaines de milliers de membres. C’est considérable, mais cela reste minoritaire au regard de l’ensemble du paysage maçonnique français.
Les conséquences pratiques
Qu’est-ce que ça change, concrètement ? Pour les membres de la GLNF, la régularité ouvre la porte des loges reconnues par l’UGLE dans le monde entier. Voyager, visiter, se sentir accueilli aux quatre coins du globe devient possible. À l’inverse, un maçon du Grand Orient ou d’une obédience mixte aura plus de mal à être reçu dans certaines loges « anglo-saxonnes ». En France, la séparation est nette : la GLNF interdit à ses membres de fréquenter d’autres obédiences et refuse toute visite extérieure. Cela creuse une frontière entre deux univers qui se côtoient sans vraiment se rencontrer.
Alors, est-ce important ?
Tout dépend de ce que tu cherches. Si ton rêve est de visiter des loges à l’étranger, la régularité peut compter. Mais si tu souhaites une franc-maçonnerie ouverte, mixte, adogmatique, attachée à la liberté de conscience, alors tu peux vivre toute ta vie d’initié sans jamais te soucier de cette reconnaissance. En France, la vérité, c’est que la plupart des maçons considèrent la régularité comme secondaire, presque anecdotique
La régularité est un cadre, pas une valeur. Elle donne un tampon de reconnaissance internationale, mais ne dit rien de la profondeur de ton parcours. Le vrai critère n’est pas de savoir si ta loge est « régulière ». Le vrai critère, c’est de savoir si tu t’y sens bien, si elle t’élève, si elle nourrit ta quête. Et ça, aucune « mère loge » ne pourra jamais le définir à ta place.